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MARC CARO, ÉBÉNISTE RÉUNIONNAIS, PERPÉTUE LA TRADITION

Liaison intime

Elle est là, appuyée contre le mur. La lumière dévoile sa nature chaleureuse. Il la couve des yeux, caresse ses lignes avec volupté, admire sa coupe, la jauge, l'envisage... Sous ses mains, il palpe presque sa respiration. Une femme et son amant ? Non. Mais c'est tout comme. La planche de bois et l'ébéniste ont ce contact privilégié qui lie deux corps physiques à travers l'énergie qu'ils dégagent. Une question de toucher, de perception, d'harmonie.

Marc Caro (de son nom d'artiste, Régis) est Réunionnais. Il parle du bois avec une douceur et une réserve qui supposent un charme ambiant fragile. La passion est ancrée dans ses yeux, mais l'ébéniste de la Rivière-Saint-Louis, en prise avec les réalités économiques de son secteur, ne se laisse pas emporter par un flux d'utopisme inconsidéré. "Les petits artisans battent de l'aile. Il n'y a plus moyen d'embaucher, on croule sous les charges et les taxes. De plus en plus, le matériel va remplacer l'homme, les machines vont faire le travail à notre place. Nous avons appris à bien travailler. Mais demain, qui va encore bien travailler, quels menuisiers y aura-t-il ? Et où vont aller les élèves qui vont sortir de l'école ?"

Héritier d'un savoir-faire traditionnel, Marc Caro est la charnière entre le monde artisanal "lontan", pétri de sensation, d'émotion, d'intimité avec le bois, autant d'échanges homme/matière qui donnaient toute leur âme aux créations, et la modernisation-productivité-rentabilité qui avance de décennies en décennies à coups de machines-outils froides et calculatrices, qui vous guillotinent une bille de bois en moins de deux et la débitent en clones de planches à l'infini.

Lorsque l'ébéniste raconte son parcours, c'est sur fond d'effluves de sapin ou de bois de tamarin, entouré d'un mobilier réalisé sur mesure, tables, chaises ou fauteuils aux cannages personnalisés, aux pieds et dossiers travaillés. Ici, des accoudoirs à branches feuillues. Pas une feuille n'est identique. Forcément, la main de l'homme n'est pas infaillible. C'est bien ce qui fait son charme et engendre de véritables oeuvres d'arts, à l'unité. Car l'artisan du bois, menuisier, charpentier ou ébéniste, plus que tout autre, est un artiste. "Tout le monde vous dira que son métier est le plus beau du monde du moment qu'il le fait avec amour", remarque Marc Caro. "Le maçon, par exemple, à sa manière, peut faire de l'art avec son coffrage, des jolies poutres, ses belles maisons. Mais le bois c'est différent. C'est chaud, c'est vivant, ça bouge. Ça ne reste pas figé. Un jour on fait une pièce, on a l'impression qu'elle est finie et puis non, on lui remet encore un petit coup de ciseau. Le bois, c'est prenant, un vrai plaisir. On en rêve le soir. Et chaque jour, on n'en finit pas d'apprendre".

"La Rivière-Saint-Louis, c'est le bois"

Marc Caro a un grand respect pour le bois. Sa famille est rivièroise depuis plusieurs générations, et même si son père n'était pas de la partie (agriculteur), ce serait bien le diable si on ne lui trouvait pas un oncle ou un cousin installé dans le secteur du bois.

"Le bois ! Vous savez bien, la Rivière-Saint-Louis, c'est le bois. Quand on parle de la Rivière, on fait immédiatement référence aux charpentiers, aux menuisiers, et avant ça encore, à ceux qui fabriquaient les charrettes en bois de ravine. C'est tout ça la Rivière-Saint-Louis".

Alors, tout naturellement, les copeaux et la sciure de bois ont envahi son enfance. "Quand j'étais enfant, je passais tout le temps devant un petit atelier. Je faisais l'école buissonnière pour aller regarder le menuisier (voilà pourquoi je n'ai rien appris à l'école !). J'étais content de le voir travailler. Tout était fait à la main. D'abord, il fallait apprendre à faire un tenon, une mortaise. C'étaient les premiers exercices. Au bout de trois ans normalement, on pouvait sortir de là avec un petit CAP, et on était prêt à partir dans les ateliers".

Le jeune Caro se révèle plutôt doué, et reçoit les rudiments du métier aux cotés des artisans les plus réputés de l'île. "À 16 ans, alors que travaillais chez Roc Bénard j'ai fait une crosse de fusil. C'était très difficile à faire. Roc Bénard, c'était le meilleur de l'île. C'est lui qui a travaillé dans les églises. Le père Delaporte aussi était quelqu'un de réputé dans le milieu. À l'époque, il avait formé tous les jeunes de la Rivière et son savoir-faire se perpétue encore aujourd'hui. Il avait construit tout le mobilier dont il avait besoin pour son église, le confessionnal, les bancs, la chaire.

Roc Bénard et Léonus Vélia étaient ses élèves. Parmi tous les patrons chez lesquels j'ai travaillé, c'est Roc Bénard qui m'a marqué le plus. Celui-là, je ne l'oublierai pas. C'était quelqu'un qui savait vraiment bien travailler le bois".

Et Marc Caro se met à aimer passionnément ce matériau que la nature offre si généreusement à l'homme. Il acquiert sa réputation à force de travail minutieux, pointu et créatif. Car plus particulièrement, c'est l'aspect façonnage manuel, la sculpture, le contact direct avec l'écorce, les fils et le coeur du bois, qui le séduisent. Les sensations sont brutes et la relation est franche, directe. "Le bois numéro un c'est le tamarin. Mais des fois, le tamarin est méchant à sculpter. Le fil court un peu à droite à gauche et il faut bien choisir son bois".

La main passe

Eric Caro, le fils de Marc, a repris l'entreprise paternelle depuis deux ans. "Il a appris avec moi au départ. Lui aussi arrivait dans l'atelier parce qu'il aimait me regarder faire. Il savait déjà bien dessiner et rapidement, il a commencé à raboter des planches, etc... il a mis la main là-dedans bien jeune ! Après, il a fait un CAP d'ébéniste à l'AFPAR et il a commencé à travailler avec moi".

Malheureusement, Marc Caro va affronter un revers de médaille brutal. Une grave maladie liée aux métiers du bois le prive de son activité.

"Il ne fallait pas aller dans l'atelier pour ne pas respirer la poussière du bois. Mes sinus étaient touchés et il ne fallait pas que ça monte dans le cerveau. En plus, je faisais une allergie cutanée. À la fin, j'avais peur de mettre les pieds dans l'atelier." La passion qui se transforme en enfer. Le comble pour cet amoureux du bois, humble devant le matériau et qui aime tout travailler, sans exception : meubles, charpentes, consoles, agencements intérieurs et extérieurs. Aujourd'hui, après deux ans de traitement et une abstinence totale et exclusive du travail du bois, il voit enfin le bout du tunnel. Mais l'odeur de cire, l'ambiance de l'atelier lui manquent. "Je ne peux pas m'empêcher de toucher un petit peu quand même de petits morceaux de bois. Des fois, le soir avec un couteau et une petite pièce, je façonne un objet".

Son rêve ? Que l'entreprise de son fils soit assez forte pour pouvoir le réembaucher. Et juste à l'idée de retrouver l'atelier pour de bon, ses yeux pétillent...

Texte et photo Valérie Koch

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